– Je peins.
– Je peins et distribue des supports peints dans l’espace, orchestrant des propositions picturales mobiles et ouvertes : huiles sur toile ou papier, assemblées souvent, augmentées de photo et de vidéo parfois, volontiers collaboratives, contextuelles voir conceptuelles.
– In fine, je porte des formes inscrites entre peinture et installation, toujours soucieuses des attitudes qu’elles dessinent : inclusives, immersives, sensuelles, privilégiant l’expression d’un lien horizontal et non-autoritaire à ce qui les entoure.
– Dans des projets où l’onctuosité des surfaces peintes s’augmentent de la sensualité numérique de films et photographies, j’essaye d’appréhender la peinture de manière aussi large que possible : ses moyens, sa surface, les images qu’elle porte, les sensations qu’elle délivre, les mythes qui la fonde, les causes qu’elle épouse, les inspirations qui la nourrissent, les regards qu’elle accueille…
– …et la place qu’elle réserve à l’autre en son sein. Convoquant de manière répétée les travaux d’artistes tiers (citations, duos, projets collectifs, curating…) et réfutant toute autonomie de l’objet d’art, mes œuvres optent pour des stratégies d’accueil, de déplacement, de retrait… autant de façons de composer fluidement et pacifiquement avec le réel.
En résulte un travail de peinture singulier, friendly voir kinky, articulé autour d’une vision au raz-du-monde où les perspectives sont courtes et dans laquelle tout se joue ici-bas. Une affaire de voisinage où les toiles – toujours plus subjectifiées – interrogent la façon dont elles se tiennent à nos côtés : présences aussi organiques que flottantes, monumentales et laid back, qui nous portent, nous couvrent, nous frôlent, nous embrassent.
Pascal Mouisset
septembre 2023
Passager d’un été à Soisay, vaisseau ancré dans un océan de blé.
En huis clos avec la musique de son casque, Pascal navigue alternativement sur deux grandes toiles montées aux premiers jours de juillet au pignon nord de l’atelier. De jour sous l’œil de Benoît son comparse, et dans la solitude de la nuit à la lumière crue de l’atelier.
De tout son corps, à un rythme hypnotique, il oscille, communie avec les couleurs et les formes, course le temps qui efface et reprend, en superposant les glacis. À la fuite de l’été, aux jours qui déjà s’abrègent, il oppose le temps élastique de son travail dont le terme est incertain. La question sans fin du dernier coup de brosse.
Peindre pour lui serait mouvement, danse avec l’impermanence.
Des tâches de lumière sourdent de la matière picturale, autant de refuges dans une course éperdue. Des perchoirs pour l’âme.
Aline Legrand
Résidences d’été du Manoir de Soisay, juillet 2023
Le travail de Pascal Mouisset dépasse le cadre traditionnel de la peinture. Ses toiles cohabitent avec
la photographie et la vidéo, elles s’adaptent aux lieux, s’ouvrent et tissent des liens vers l’extérieur.
Afin de créer de nouvelles compositions dans l’espace, les toiles perdent de leur « frontalité monumentale » pour s’élever au-dessus du public et céder la place à la fluidité et la tendresse.
Ainsi, la peinture réalisée en technique de glacis crée sa propre aura pour dépasser la simple matérialité de la toile. L’installation immersive invite à redécouvrir l’espace peint et plonge le spectateur dans sa surface aqueuse, informe et romantique ou ce dernier se retrouve submergé par la couleur débordante.
Dans une démarche de collaboration et d’échange, comme l’indique le titre Demander à une idée étrangère et voisine le meilleur de la force qui lui manquait, Pascal Mouisset invite pour l’occasion l’artiste Ella Ngovan à investir l’installation à travers des captations vidéos – portraits à l’atelier dans lesquels l’artiste évoque le rapport romantique et charnel qu’elle entretient avec sa propre peinture, et où se mutliplient les échos aux pièces peintes de Pascal Mouisset.
Anastasia Baryshnikova
catalogue de la 72e édition de Jeune Création, mai 2022
La peinture de Pascal Mouisset ne pose ni la question du sujet ni la question de la forme, mais celle de l’instant – l’instant décisif, aurait dit Henri Cartier-Bresson.
Mais qu’est-ce que cela peut vouloir dire en peinture « l’instant » ?
Cela veut dire que dans la déferlante d’images qui caractérise nos quotidiens Pascal Mouisset ne cherche pas à en ajouter ou à en retenir, mais à voir et conserver ce voir. La peinture est chez lui le réceptacle d’une sensation, une délicatesse, un éclat, une ombre. Il s’agit d’une forme de prise de conscience dont la peinture prend acte.
« ce temps a eu une importance »
« ce temps a une importance »
« ce temps demeure important »
Peindre donne alors aux tableaux la qualité d’une vision ; eux-mêmes ont vu. Et dans l’aveuglement de la vision l’artiste opère un ralentissement tel que le calme s’impose. Face aux tableaux s’ouvre un silence proche de celui que l’on ressent la nuit, entré seul dans une voiture une fois la portière claquée : un silence qui referme le temps sur les bruits extérieurs tout en laissant paraître les flashs lumineux des phares et des enseignes fluorescentes, peu à peu adoucis par l’écrasement que provoque le pare-brise.
Mais la peinture n’est pas tout, et d’une certaine manière elle suffit rarement. Pascal Mouisset n’est pas naïf, il sait trop bien l’importance du contexte et des dispositifs pour laisser le hasard manger l’instant comme il le fait, 10 fois, 100 fois, 1 000 fois par jour. Ses tableaux, l’artiste tient à ne pas les laisser seuls. Il les veut préservés dans cette conscience de l’instant devenue chimérique. Ainsi, la délicatesse qu’il appelle dans ses titres n’est pas pour ceux qui regardent son travail, mais pour le travail lui-même. C’est avec les œuvres qu’il faut être délicat, elles qu’il faut choisir de prendre avec sincérité. Pour cela les tableaux revêtent des garde-corps, avancent sur des roulettes, ou encore, cachent leurs reflets derrière ceux d’une vitre. Ils sont dans la vie comme la vie est avec eux, paradoxalement aussi barricadés que mis en danger. Le comble enfin, il lui arrive de ne pas montrer ses tableaux mais simplement des photographies des tableaux tirées à l’échelle, telles des vanités face à l’abîme où plonge le regard quand il ne sait pas qu’il est presque toujours la dupe de sa propre perfection. Autant d’artifices qui mettent une distance entre l’observateur et le tableau, mais cette distance est toujours une distance annoncée et bien visible, elle n’a d’autre objectif que de forcer le regard à prendre conscience de lui-même.
D’une certaine manière on pourrait presque dire que la peinture de Pascal Mouisset glisse. Elle glisse et se répand – elle fuit. Les images qu’elle laisse voir à sa surface ne disent pas autre chose. Elles semblent toujours un peu noyées, troublées par la matière même de la peinture que l’on s’imagine volontiers être sur le point de s’échapper, telle l’eau au fond d’un évier au moment où l’on en retire la bonde : fleurs, reflets d’éclairages, objets entassés, néons et autres réminiscences aqueuses et éclectiques vont sous peu passer l’étranglement du goulot qu’une main distraite vient d’ouvrir – sans même y penser –, sans même se poser la question de ce qui disparaissait, sans un instant songer que pour les voir, et c’est trop tard, il fallait être là au bon moment, pas avant, pas après.
Qu’importe alors le sujet ou la forme, l’instant est maître. Un maître fragile pourtant, et c’est cela qui donne toute sa beauté à la durée que l’on consacre – ou non – aux tableaux de Pascal Mouisset.
Benoît Blanchard, L’Instant
publié sur www.boumbang.com, septembre 2019
Pascal Mouisset, nourri comme tous les peintres de sa génération de Land art, de concept et d’installations, apporte une réponse originale et complexe, riche d’ouvertures sur de nouveaux champs formels.
Sa peinture est une plongée dans les profondeurs de l’Histoire, quand la nature était menaçante, les hommes sauvages et gouvernés par la peur. Mais ce n’est pas une peinture qui décrit ou représente.
Déjà de 2006 à 2009 dans la série d’acryliques regroupée sous le titre « Décor, berges du Tarn », il y avait volonté allusive et retenue dans la transcription des formes- couleurs : le regard pouvait choisir de s’arrêter sur un point-accroche ou de vagabonder d’une image à l’autre car déjà, de l’une à l’autre, plusieurs temps, plusieurs focales, plusieurs angles de vue alternaient. On savait juste que l’on était dans l’herbe d’un pré ou au bord d’une rivière… mais avec l’œil fixe de celui qui est parti dans ses rêves et n’accommode déjà plus vraiment.
Aujourd’hui les dispositifs sont beaucoup plus ambitieux. La vision n’est plus frontale. Ou plus seulement. On entre dans le paysage. Physiquement. Il nous enveloppe immédiatement et nous sollicite de toutes parts.
On est d’abord dérouté par la complexité de chaque création : des tableaux, nombreux souvent, de tailles et formats différents, certains verticaux accrochés aux murs, ou en avancée sur structures en bois, d’autres posés au sol, ou surélevés sur des socles. Mais aussi parfois des éléments symboliques (tas de terre, cendres, bûches de bois…), des écritures, des structures mobilières basiques, une bande son…
On peut opter pour l’installation plasticienne, le décor de théâtre, le sas expérimental de décompression, ou même l’espace ludique pour future séance de psychodrame… car ces caissons sensoriels et mentaux fonctionnent à la façon des planches de tests de Personnalité : les formes imprécises, les clairs-obscurs, les passages du chaud au froid, de l’ombre à la lumière, la perte des repères traditionnels obligent chacun à projeter « sa » lecture.
Danielle Chevalier
publié sur www.danielle-chevalier-blog.fr, 2014